08/07/2018 : Communiqué de Robert Lepage suite à
l'affaire SLAV :
Ex Machina COMMUNIQUÉ
Pour diffusion immédiate
Québec,
le 6 juillet 2018 – « Je m’adresse
à vous aujourd’hui par le biais de ce communiqué
pour exprimer mon point de vue et expliquer la position
que j’ai adoptée quant à ce qu’il
faut bien convenir d’appeler l’affaire SLAV.
D’emblée,
je tiens à préciser que Betty Bonifassi, ses
choristes, l’équipe d’Ex Machina et moi-même
étions conscients, depuis le début du projet,
que le sujet que nous abordions était sensible et
qu’il était donc de notre devoir d’agir
et de créer ce spectacle de manière respectueuse,
réfléchie, informée, honnête
et intègre.
Ceci
étant dit, il nous est apparu, à mon équipe
et moi, que dans l’atmosphère survoltée
que notre spectacle avait provoqué, il serait plus
sage de garder le silence puisque toute déclaration
de notre part n’aurait fait que jeter de l’huile
sur le feu.
Pendant
que le spectacle tenait l’affiche et parlait de lui-même,
nous ne sentions pas le besoin de rajouter quoi que ce soit,
ce qui nous a permis d’être à l’écoute
des arguments de ceux qui s’opposaient à la
tenue de notre spectacle.
Mais maintenant que SLAV est officiellement muselé,
il nous faut bien trouver un autre moyen de dire.
Je
préfère laisser aux détracteurs et
aux défenseurs du projet le soin de débattre
et définir ce qu’est l’appropriation
culturelle car il s’agit là d’un problème
éminemment complexe que je n’ai pas la prétention
de pouvoir résoudre.
Pour
moi, la chose la plus navrante que je note, dans la rue
comme dans certains médias, c’est l’affligeant
discours d’intolérance. Tout ce qui a mené
à cette annulation est un coup porté à
la liberté d’expression artistique et je considère
que mes 40 années d’expérience dans
les arts de scène m’autorisent à parler
avec légitimité de cet aspect de la question.
Depuis
la nuit des temps, la pratique théâtrale repose
sur un principe bien simple : jouer à être
quelqu’un d’autre. Jouer à l’autre.
Se glisser dans la peau de l’autre afin d’essayer
de le comprendre et, par le fait même, peut-être
aussi se comprendre soi-même. Ce rituel millénaire
exige, le temps d’une représentation, que l’on
emprunte à l’autre son allure, sa voix, son
accent et même à l’occasion son genre.
À
partir du moment où il ne nous est plus permis de
nous glisser dans la peau de l’autre, où il
nous est interdit de nous reconnaître dans l’autre,
le théâtre s’en trouve dénaturé,
empêché d’accomplir sa fonction première,
et perd sa raison d’être.
Au
fil de ma carrière il m’est souvent arrivé
de consacrer des spectacles entiers à la dénonciation
d’injustices subies à travers l’histoire
par des groupes culturels spécifiques dont aucuns
des acteurs n’étaient issus. Ces spectacles
ont été joués partout à travers
le monde, devant les publics les plus divers, sans jamais
que l’on ne m’accuse d’appropriation culturelle
et encore moins de racisme. Bien au contraire. Ces réalisations
ont toujours été bien accueillies et ont fait
d’Ex Machina l’une des compagnies de théâtre
les plus respectées au monde.
Il
est bien évident que tout nouveau spectacle comporte
son lot de maladresses, de ratés et de mauvais choix.
Mais contrairement à plusieurs autres formes d’expressions
artistiques le théâtre n’est pas un art
figé. Le théâtre est un art vivant,
qui permet à une œuvre d’être en
constante évolution, en perpétuelle réécriture
au contact du public et de ses réactions, et de corriger
le tir au fil des représentations.
Cette
évolution n’a pas pu se produire dans le cas
de SLAV puisque le spectacle a été annulé
après seulement trois représentations.
S’il
n’en tenait qu’à moi, le spectacle tiendrait
encore l’affiche car je revendiquerai toujours le
droit, au théâtre, de parler de tout et de
tous.
Sans
exception. Aucune
».
Robert
Lepage
Metteur en scène
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